Fret : traverser ou contourner l’Ile de France ? 30/09/21

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Fret : traverser ou contourner l’Ile de France ?

Les discours en faveur de la relance du transport de marchandises par le rail ne sont pas nouveaux et ils ont généralement le même air de « déjà vu ». L’incantation est une chose (assez aisée) , passer à l’acte en est une autre.

Ce dossier de transportrail n’est donc absolument pas une nouveauté non plus : il refait surface épisodiquement, à peu près toutes les décennies. Il figure dans la stratégie nationale pour le fret ferroviaire présentée par le gouvernement en septembre 2021. Essayons donc de l’éclairer.

Artenay - 18 janvier 2014 - Dans une ambiance bien hivernale, la BB27173 remonte vers l'Ile de France. L'insertion sur la Grande Ceinture constitue le point faible du fret autour de Paris, surtout pour les circulations qui ne font qu'y transiter. © transportrail

Fret : des flux massifiés sur l’Ile de France

L’organisation géographique du réseau ferroviaire français est historiquement très centralisée sur Paris., L’élagage du réseau classique depuis un demi-siècle n’a fait qu’accentuer le phénomène, en supprimant nombre d’itinéraires et en rejetant de ce fait les circulations fret vers l’Ile-de-France même quand elles ne font qu’y transiter. En outre, l’équipement qualitatif des infrastructures subit une vraie différence selon qu’il s’agisse d’un axe radial ou d’une liaison transversale. Ainsi, au nord de l’Ile de France, il n’existe qu’un seul axe électrifié et d’une performance acceptable pour le transport de marchandises entre Dunkerque et Thionville : c’est la transversale Nord-Est, celle du charbon et de la sidérurgie, premier grand axe national électrifié en 25 kV au début des années 1950 après les expérimentations savoyardes.

Aouste - 23 février 2019 - Autoroute ferroviaire à travers les Ardennes : pour rejoindre Calais en venant de la vallée du Rhône, ce train fait quand même un petit détour par Thionville pour profiter de la continuité électrique. Certes, on évite l'Ile de France, mais ce n'est pas le plus court ni le plus rapide... © L. Knop

Au sud de l’Ile de France, il faut aller loin pour trouver un équivalent : c’est la transversale sud, entre Bordeaux et Narbonne. Entre les deux… il reste encore des axes, qui ont résisté aux vagues de démantèlement du réseau, mais leur équipement est insuffisant. Le seul digne de ce nom, électrifié, est finalement Tours – Vierzon – Saincaize (Nevers), mais il lui manque une un ultime maillon électrifié vers l’Est, soit Dijon (c’est en projet), soit Lyon (cela ne semble pas envisagé de sitôt…).

Conséquence : les trafics convergent vers l’Ile de France et la Grande Ceinture joue le rôle de plaque tournante. Pour les opérateurs et logisticiens, ce n’est pas forcément un mauvais calcul, car c’est le moyen d’agglomérer les trafics à destination de l’Ile de France et ceux ne faisant que la traverser, avec à la clé une organisation de la production et de la gestion des flux concentrée autour de quelques plateformes situées en banlieue parisienne. Encore faut-il pouvoir y accéder aisément 24 heures sur 24, et pouvoir les quitter avec la même facilité…

Chelles - 13 avril 2013 - Elle s'en est sortie : la BB27059 a quitté la Grande Ceinture (à Noisy le Sec ou à Gagny) et est désormais engagée sur la ligne de Strasbourg. L'insertion est délicate jusqu'à Meaux, surtout en heures de pointe ! © transportrail

Des sillons rares, et pas toujours de qualité

Revers de la médaille de l’utilisation élevée du réseau en Ile-de-France, le nombre de sillons pouvant être alloués au fret est limité, voire inexistant aux heures de pointe. Un gros problème pour les autoroutes ferroviaires notamment, qui doivent impérativement pouvoir passer à toute heure du jour ou de la nuit…

Bois le Roi - 2 juin 2013 - Le fret est relativement rare sur la rive gauche de la Seine au sud de Melun, sauf pour les trains allant sur la ligne du Bourbonnais... ou en cas de maintenance sur la rive droite. La BB26211 file en direction de Moret. © transportrail

Il faut cohabiter avec les autres activités de transport ferroviaire, qu’elles soient nationales ou régionales. En la matière, Ile de France Mobilités est assez claire sur ce sujet et souhaite une priorité maximale aux dessertes franciliennes, voire disposer de voies qui lui sont entièrement dédiées. Dit autrement, « le moins de fret possible et surtout pas en heures de pointe ».

Ozoir la Ferrière - 18 mars 2015 - La BB7132 illustrée ici dans la vocation locale du fret ferroviaire avec des wagons de céréales de la Brie, filant vers la Grande Ceinture dans une trame horaire assez exigente sur cette section desservie par le RER E. © transportrail

Lardy - 22 avril 2009 - La BB22222 s'est glissée sur la voie 1bis entre des Z2N du RER C avec ce convoi diversifié qui sort de l'Ile de France. La cohabitation sur l'axe Paris - Orléans n'est pas aisée, et le compromis avec les attentes des utilisateurs du RER C, même écrêtées par Ile de France Mobilités, limitent la capacité pour le fret. © transportrail

Comme aucune Région ne veut voir passer du fret à ces heures à travers ses principaux noeuds, il faut donc faire des choix pour les longs parcours, qui doivent forcément traverser au moins une grande ville en heure de pointe. Et comme en France, les contournements des gares centrales sont l’exception (seule l’Alsace – Lorraine, pour des raisons historiques, est bien traitée de ce point de vue), il y a donc une tension capacitaire grandissante sur la majorité des grands nœuds du réseau, d’autant plus que le trafic régional y a généralement cru ces deux dernières décennies.

Miraumont - 11 juillet 2020 - Cette BB27000 louée par VFLI remonte une rame de transport combiné sur le parcours Miramas - Dourges : la fin de parcours approche. Ce train a transité par la Grande Ceinture complémentaire pour rejoindre l'axe Paris - Lille. © L. Knop

La ponctualité du fret au départ de l’Ile-de-France était autour de 50% seulement en 2019, et n’atteignait que 65% pour les trains transitant par la région parisienne.

Il faut aussi composer avec la maintenance du réseau : l’Etat étant pingre dans ce domaine, SNCF Réseau ne cache pas une préférence pour les opérations de jour, quitte à rendre indisponibles des sections de ligne pendant 4 à 6 heures. Les travaux de nuit ne sont pas non plus les amis du fret, étant donné que ces trains souvent au long cours comprennent au moins une plage de circulation nocturne. Et dans les deux cas, la nouvelle tendance depuis quelques années est de travailler « en simultanée », c’est-à-dire de demander l’interruption de circulation sur les deux voies même quand on ne travaille que sur une seule. C’est évidemment plus simple à gérer en termes de sécurité, quand il n’y a pas à se soucier des trains passant sur l’autre voie, mais c’est dramatique pour le transit fret quand il n’y a pas d’itinéraire alternatif, cas de la majorité du réseau français au contraire de nombre de ses voisins…

Ajoutez, toujours pour les mêmes raisons budgétaires et d’absence de réelle compréhension des enjeux d’un transport ferroviaire compétitif, que le réseau manque d’équipement de circulation à contre-sens et encore plus de banalisation, mais également d’engins de chantiers compatibles avec le maintien de circulations sur les voies adjacentes, vous avez ici réunis les principaux ingrédients du cocktail indigeste auquel sont confrontés les opérateurs de fret en France. Ceux qui souhaitent se lancer dans les trains de voyageurs nocturnes savent à quoi s’en tenir, d’autant que, objectivement, compte tenu du retard accumulé dans le renouvellement et la modernisation du réseau, même sur les grands axes, le taux de disponibilité des voies restera durablement limité : aucune amélioration à espérer avant 2030 au moins.

Décentraliser le trafic fret

Les ambitions affichées régulièrement par l’Etat pour dynamiser le fret ferroviaire imposent donc de repenser la géographie des trafics, car il est évident qu’il ne sera pas possible de développer le trafic dans un schéma centralisé et – comme déjà dit – très mal pourvu en itinéraires vraiment alternatifs aux aptitudes techniques similaires à celles de l’itinéraire nominal.

La stratégie devrait donc reposer sur une dissociation des courants, ce qui est une banale évidence (mais en France, il semble nécessaire de les rappeler à intervalles réguliers). Cette dissociation amène donc à définir des itinéraires de contournement pour les flux de longue distance qui n’ont pas pour origine ou destination la région parisienne. Le corridor fret européen Allemagne – Espagne (côté Pays Basque), par exemple, n’a en théorie rien à faire sur la Grande Ceinture.

Appilly - 24 avril 2021 - La 186-180 de DB Cargo (l'appellation ECR a été abandonnée en septembre 2021) est en charge de ces caisses mobiles effectuant le long trajet Calais - Cerbère, et met le cap vers l'Ile de France par la ligne de Belgique. © L. Knop

Autre élément à prendre en considération dans la définition des principes : l’intermodalité. Elle se conçoit entre le train et la route évidemment, mais aussi avec les voies navigables. En tête d’affiche, il faudra penser aux ports français, tout particulièrement Dunkerque, Le Havre et Saint Nazaire ainsi que Marseille (relativement bien traité avec l’ensemble des deux rives du Rhône). La relation au transport aérien de marchandises pourra être examinée mais son potentiel semble de moindre portée.

L’intermodalité est évidemment à concevoir aussi au sein du système ferroviaire entre les radiales et les transversales, mais aussi entre les grands axes et la desserte fine des sites industriels.

Alors, au-delà de la Grande Ceinture, quelles solutions ?

Géographie de la grande rocade de contournement

Au nord, émerge comme une évidence l’axe Amiens – Laon – Reims – Chalons en Champagne (voir notre dossier pour la section Amiens - Laon), avec à l’ouest, deux prolongements naturels destinés à l’interface entre train et la voie maritime :

  • vers Dunkerque, via Abbeville, Boulogne et Calais, avec évidemment une connexion au tunnel sous la Manche
  • vers Le Havre via Montérolier, Motteville, évitant donc judicieusement le nœud de Rouen déjà bien encombré.

Signalons au passage l’intérêt de la création d’un raccordement direct à Amiens Saint Roch pour disposer d’une liaison Calais – Le Havre sans rebroussement à Longueau, offrant également un second potentiel d’usage de l’accès à l’Ile de France via Serqueux – Gisors, au profit des trains arrivant du nord.

Sur ce maillon, 3 plateformes de connexion aux radiales sont possibles à Longueau (sur l’axe Paris – Lille), à Tergnier (sur la ligne historique de Belgique donnant accès via Verberie au triage du Bourget en évitant Creil - Chantilly) et à Châlons en Champagne (sur l’axe Paris – Allemagne).

Au Centre, une autre évidence se dessine avec la Voie Ferrée Centre Europe Atlantique Tours – Vierzon – Nevers – Chagny, reliant les corridors Allemagne – Espagne par l’Atlantique ou par la Méditerranée. Les plateformes de connexion naturelles se situent à Saint Pierre des Corps, Vierzon, Saincaize et Gevrey-Chambertin.

Imphy - 9 août 2020 - Un peu de fret sur la VFCEA, même sans caténaire, mais il s'agit pour l'essentiel d'un trafic de moyenne distance, entre l'Auvergne et le noeud dijonnais. © Rail Composition

A l’ouest de Tours, l’extension sur l’axe ligérien donne accès aux installations portuaire de Saint Nazaire et à lrun via l’axe Atlantique. A l’autre extrémité, les combinaisons sont nombreuses, avec une liaison vers l’Allemagne par Dijon puis par la Lorraine ou par Mulhouse, vers l’Espagne en filant vers la Méditerranée, et vers l’Italie, avec la perspective de la Transalpine et de ses accès incluant le contournement de l’agglomération lyonnaise. Ces sujets sont développés par transportrail dans les dossiers consacrés à la Voie Ferrée Centre Europe Atlantique et à la Transalpine.

Passons maintenant aux maillons orientés nord-sud.

Depuis Chalons en Champagne, rejoindre le nœud dijonnais et l’axe PLM est possible en empruntant l’axe Paris – Strasbourg jusqu’à Toul pour ensuite utiliser la « ligne 15 » via Chalindrey, qui est de fait déjà un axe à dominante fret.

Barisey la Côte - 20 avril 2016 - Avec un long convoi de semi-remorques de l'autoroute ferroviaire, ces 2 BB27000 circulent sur la ligne Toul - Dijon, où le trafic fret est dominant, mais de consistance encore modeste. C'est le maillon oriental du contournement ferroviaire de l'Ile de France, aux marges du Bassin Parisien. © R. Chodkowski

L’alternative, un peu plus courte en distance, passerait par Saint Dizier et Chaumont, pour atteindre Chalindrey via l’axe Paris – Belfort.

A l’ouest, le contournement serait réalisé par une liaison Rouen – Tours via Oissel, Serquigny, Mézidon et Le Mans (voir notre dossier sur la section Caen - Tours). C’est un peu tortueux, il faudra tangenter le nœud de Rouen, mais il n’existe pas d’autres itinéraires actifs à double voie de performance convenable.  Deux plateformes pourront être étudiées au Mans et à Sotteville.

Un système à électrifier

Point commun à l’ensemble de cette rocade : ces sections, faute d’un trafic voyageurs substantiel, ont en majorité échappé aux opérations d’électrification du réseau. Au nord, la rocade Amiens – Chalons n’est équipée qu’entre Saint Hilaire au Temple et Chalons pour raccorder la LGV Est au réseau classique.

La transversale Amiens – Rouen est en revanche équipée, d’assez longue date. Au sud, la section Tours – Nevers bénéficie de la traction électrique grâce à l’engagement de la Région Centre alors bien inspirée. La Région Bourgogne – Franche-Comté porte depuis le début des années 2000 le projet VFCEA incluant l’électrification de la section Nevers – Chagny.

A l’ouest, de Oissel à Tours, hormis la section commune à l’axe Paris – Cherbourg (Serquigny – Mézidon), et le court tronçon Oissel – Elbeuf pour les besoins périurbains rouennais, la traction électrique reste… en projet.

Par conséquent, l’électrification constituera immanquablement la tête d’affiche des investissements à opérer pour rendre ces itinéraires attractifs. Mais cela ne suffira pas… et il y aura même quelques points sensibles :

  • dans le projet d’électrification de la VFCEA, le tunnel du Creusot est un point dur pour le gabarit et une approche pragmatique pourrait aboutir à une mise à voie unique ou imbriquée, altérant modérément le débit… mais réduisant significativement le coût d’investissement ;
  • sur la section Elbeuf – Serquigny, les tunnels ne dégagent pas le gabarit pour installer la caténaire : le même schéma, combiné ou non avec une voie sans ballast, pourrait être mis en œuvre ;

Avec la commercialisation de locomotives bimodes, il serait même plus facile de phaser dans le temps l’électrification complète de cette rocade, à condition évidemment que les opérateurs s’en équipent. Au regard des avantages qu’elles procurent, c’est assez probable…

Gabarit, capacité, disponibilité

L’électrification ne fait pas tout. Surtout pour le fret. Il ne faut pas oublier le gabarit. Dans le domaine du transport intermodal, la prise en charge des semi-remorques de 4 m de hauteur a tendance à devenir un standard, ce qui amènerait à revendiquer le gabarit P400 pour maximiser les trafics éligibles. Le gabarit GB permettrait a minima de faire passer les convois de transport combiné conventionnel (conteneurs et caisses mobiles) : il est disponible pour l’instant uniquement entre Amiens et Chalons et sur Tours - Nevers. Le dégagement d’un gabarit plus généreux devrait logiquement pouvoir être réalisé dans l’ombre des électrifications. Ce sera un peu plus complexe pour les sections déjà sous caténaires… sauf pour certains ponts, où rien n’interdit de faire comme Network Rail : de courtes sections non alimentées qui suppriment le besoin d’isolement, avec une trentaine de centimètres immédiatement gagnés de ce fait sous 25000 V (moins sous 1500 V mais le sujet des électrifications aujourd’hui est quasi exclusivement le 25000 V).

Il faut ensuite aborder le sujet capacitaire : la quasi-totalité de ce grand contournement est équipé en BAPR. Seules les sections communes aux grandes radiales sont en BAL... ainsi que Vierzon – Saincaize, vestige de l’idée de la SNCF d’une liaison électrique Paris – Clermont-Ferrand via Vierzon avant la décision élyséenne imposant l’électrification de Moret – Nevers – Clermont-Ferrand. Il y aurait donc potentiellement besoin d’améliorer le débit, a minima par un redécoupage du cantonnement. La VFCEA étant inscrite dans le réseau transeuropéen, elle est donc destinée à être à terme équipée en ERTMS. Pour les autres maillons de la rocade, ce serait un objectif de long terme, difficilement envisageable autrement qu’au fil de l’eau en fonction des échéances de renouvellement des équipements, à moins d’un réel « grand bond en avant » des dessertes fret et voyageurs sur ces lignes.

La présence du GSM-R est nécessaire pour le fret avec un fort enjeu économique car son absence doit être compensée par un deuxième agent de conduite en tête du train. L’équipement de Nevers – Chagny semble aujourd’hui faire consensus, mais il manque le maillon ouest, entre Oissel et Serquigny et de Mézidon à Tours. D’ici là, sera arrivée la nouvelle génération FRMCS (Future Railway Mobile Communication System) liée à la 5G.

La dimension capacitaire doit être aussi pensée par la disponibilité de l’infrastructure, avec la possibilité de circuler de nuit, et par l’équilibre entre la circulation et la maintenance. En particulier, il ne serait sans doute pas inutile de réfléchir à davantage de maintenance le week-end, ceci s’entendant jusqu’au lundi midi, jour traditionnellement creux pour le fret. Ne serait pas inutile non plus la remise en cause du traditionnel « blanc travaux de 1h50 en journée », une hérésie pour la capacité compte tenu de son taux d’utilisation réelle parfaitement dérisoire (moins de 5 %) : un sujet qui concerne l’ensemble des grands axes, maillon d’une réelle organisation favorable au développement des trafics (ce qui est vrai pour le fret le sera aussi pour les RER), qui est au moins aussi vieux que celui du contournement ferroviaire de l’Ile de France.

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