L’UIC fête ses 100 années d’existence 17/10/22

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Source: https://mediarail.wordpress.com/2022/10/16/xxxx/

 

L’UIC fête ses 100 années d’existence


17/10/2022 – Par Frédéric de Kemmeter – Signalisation ferroviaire et rédacteur freelance
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L’Union Internationale des Chemins de Fer – l’UIC -, fête en ce mois d’octobre ses 100 années d’existence. C’est une occasion de revenir sur les nombreux acquis dont ont bénéficié les administrations ferroviaires, devenues par la suite des entreprises publiques.

Jadis

On le sait peu, mais au XIXème siècle, les questions techniques des chemins de fer étaient gérées au niveau international par des diplomates, ce qui prouvait que les chemins de fer étaient aussi une question de géopolitique.

Elle se concrétisait par la grande opposition franco-allemande. Vers 1860, un inspecteur attaché au Nord-Belge s’étonnait de la coexistence paradoxale de « deux conditions qui semblent plus susceptibles de s’exclure que de se combiner« . Son intuition sera rapidement confirmée par l’histoire technique du rail, jusqu’à notre époque actuelle, où l’opposition France-Allemagne reste vivace sur de nombreuses questions ferroviaires.

 

Unifier tout ce qui peut l’être

En 1875, le Conseil fédéral suisse prend l’initiative d’inviter les gouvernements et les administrations ferroviaires (publiques et privées) des Etats européens à une conférence internationale à Berne, en Suisse. Cette conférence a eu lieu trois ans plus tard, en mai-juin 1878. Deux autres conférences se sont tenues par la suite, puis ce fut la 4ème conférence internationale de Berne en 1890 qui finalement ratifia la Convention relative aux transports internationaux de marchandises par chemins de fer (CIM), et qui a imposé un véritable droit supranational dans ce domaine. Neuf États membres fondateurs furent signataires des conventions lors de leur entrée en vigueur en 1893.

En outre, un Office central des transports internationaux ferroviaires (OCTI) fût créé à Berne, chargé de traiter les propositions de modification des conventions antérieures et de convoquer des conférences de révision, d’agir en tant que tribunal d’arbitrage chargé de traiter les litiges entre les compagnies ferroviaires, et de diffuser toutes les informations et décisions relatives à l’application de ces conventions. Il s’agissait donc de questions de droit international, bien avant l’existence de l’Union européenne. Mais qu’en est-il des questions techniques ?

En août 1882, suite à l’inauguration du chemin de fer du Saint-Gothard qui illustre si bien la vocation internationale des chemins de fer, le Conseil fédéral suisse invita les gouvernements des Etats limitrophes à une conférence internationale d’experts sur l’unité technique des chemins de fer. Le 21 octobre 1882, les représentants des Etats signèrent un protocole garantissant que le matériel roulant conforme aux normes établies pouvait circuler sur les réseaux des Etats membres. Cette première conférence pour l’unité technique des chemins de fer a été suivie de deux autres en 1886 et 1907 pour aborder une série de questions techniques telles que l’écartement des voies, les gabarits de chargement, les méthodes de fermeture des wagons, les normes du matériel roulant telles que les tampons et les attelages et la facilité d’accès des douaniers aux wagons de marchandises, etc.

L’Unité Technique constituait la base de la normalisation des chemins de fer en Europe mais elle fît déjà l’objet de critiques des ingénieurs. Rapporté par Georges Ribeill, historien français, ce portrait de l’ingénieur français hostile à la norme anti-progrès : « Les ingénieurs français ont toujours considéré la locomotive comme un objet d’art indéfiniment perfectible, peu susceptible par conséquent d’être soumis à des standardisations contraignantes. Pour eux, il y avait contradiction entre la standardisation et la production de masse, d’une part, et le progrès technique, d’autre part, qui risquait d’être bloqué par elles. Ils ne voulaient pas être condamnés à employer toujours indéfiniment le même modèle. » Les ingénieurs d’Allemagne ou de Suède pensaient la même chose…

Voilà pourquoi il a fallu attendre 150 ans et l’internationalisation de l’industrie pour – enfin -, sortir en 2000 des locomotives qui peuvent être vendues partout en Europe. Mais revenons aux XIXème siècle.

Des diplomates aux ingénieurs

La conférence de Portorose (autrefois en Italie, aujourd’hui une ville de Slovénie), se prononça fin 1921 en faveur d’une « association » des chemins de fer. Il s’agissait d’établir des règles pour faciliter le transport international de passagers, de bagages et de marchandises entre les nouveaux réseaux. Les 13 articles adoptés à l’unanimité libéralisent sensiblement le trafic ferroviaire : il est notamment prévu que de grandes gares frontalières soient utilisées par deux pays voisins, que les trains de marchandises puissent franchir les frontières de jour comme de nuit, que des services directs de voyageurs et de wagons soient assurés, que le contrôle des voyageurs ait lieu à bord du train, etc.

La conférence internationale qui s’est tenue à Gênes en avril-mai 1922 a proposé d’accélérer la normalisation des chemins de fer européens en confiant aux opérateurs du réseau la gestion permanente de cette question, auparavant confiée aux diplomates. Il était donc nécessaire de tenir une nouvelle conférence, et c’était à la France de l’organiser.

C’est pourquoi la date du 17 octobre 1922 fût retenue comme date de création de l’UIC, bien que l’institution ne soit réellement inaugurée que le 1er décembre de la même année.

Il est intéressant de noter qu’à l’époque, une grande partie du chemin de fer européen était déjà nationalisée. La Belgique (1926), la France (1937) et enfin le Royaume-Uni et le Luxembourg (1948) ont suivi le mouvement. La Deutsche Bundesbahn a été créée en 1949 à la suite de la partition malheureuse de l’Allemagne en deux blocs politiques. Le chemin de fer, qui n’est pas sorti indemne de deux guerres dévastatrices, entrait ainsi dans sa deuxième ère, en concurrence frontale avec l’ère du pétrole, c’est-à-dire du bitume, de l’automobile et, plus tard, de l’aviation pour tous.

Harmoniser le chemin de fer

Ce fut dur ! Louis Armand, ancien patron de la SNCF après la seconde guerre mondiale puis secrétaire général de l’UIC, relatait dans ses mémoires « des discussions épuisantes sur l’âge jusqu’auquel les enfants paieraient le demi-tarif (…) On n’a pas encore réussi à établir de véritables tarifs internationaux. Tout se passe comme s’il était plus aisé de concilier les services « dépensiers » que les services « encaisseurs ». » Nous parlons des années 50, et cela explique la situation actuelle des tarifs internationaux, que l’UIC n’a jamais réussi à régler…

L’attelage automatique fut aussi l’objet d’une guerre féroce entre la France et l’Allemagne, qui avait chacune « leur » solution. La Russie riait sous cape : elle avait entretemps mis au point son attelage SA3 qui est le standard actuel dans toute cette partie du monde.

Il fallait aussi tenir compte de l’ensemble des singularités de chaque nation, tout comme la « préservation » de l’industrie nationale ou du courant fournit à la caténaire.

Heureusement, il y a eu des succès. Tout l’art de l’UIC consistait à faire accepter le matériel roulant d’un membre sur le réseau d’un autre membre. Les fiches UIC ont été développées depuis le début de la création de l’UIC. Elles jouent toujours actuellement un rôle important dans la normalisation du secteur ferroviaire, des données et de la terminologie.

Citons par exemple le concept de wagon EUROP et la disparition de la troisième classe à la fin des années 50. Mais aussi l’évolution des rails, qui atteignent de nos jours 60kg au mètre. Tout cela est issu de nombreux partage d’expérience entre les réseaux, allié avec des progrès dans la sidérurgie et l’électromécanique.

L’UIC a entrepris aussi d’unifier le confort du matériel roulant sur base des expériences des uns et des autres. Ce fut dur aussi ! Il y avait les partisants du compartiment quand d’autres réclamaient de s’aligner sur les standards de l’aviation. Restait aussi à concilier différentes conceptions du matériel roulant, à l’exclusion des locomotives qui restèrent une matière nationale.

A son actif aussi, les voitures internationales normalisées d’une longueur de 26,40m. On y détailla la taille des portes, des compartiments, des WC, des tampons, de l’intercirculation et même de l’opportunité de la climatisation en deuxième classe. Pour ces voitures, chacun choisissait en revanche ses propres bogies nationaux : Minden-Deutz en Allemagne, Y24, Y28 ou Y32 en France, Fiat en Italie, SGP en Autriche.

Il devenait clair par exemple que la seconde classe méritait un renouveau souhaité car le rail devenait, même à l’international, un transport de masse en concurrence frontale avec d’autres transports qui évoluaient rapidement. Cela avait un prix : la voiture VSE, qui amorça le déclin des Trans Europ Express. Le rêve de produire 3.000 voitures unifiées se solda finalement par 500 exemplaires vendus…

La classification UIC et les codes pays UIC ont permis de déterminer avec précision la capacité et la propriété du matériel roulant, les wagons se voyant attribuer des numéros de wagon UIC uniques. L’UIC a établi des systèmes pour la classification des locomotives et de leurs dispositions d’essieux, des voitures et des wagons de marchandises (A= première classe, B=seconde classe,… D=fourgon pour train voyageur, E=wagon tombereau,… Z=wagons citernes)

L’UIC a aussi été à l’oeuvre pour obtenir un contour maximal unifié (largeur-hauteur) dans lequel un train doit s’inscrire, afin de ne toucher aucun élément en bord de voie, de pont ou de tunnel dans tous les pays visités. Ce gabarit peut différer de quelques centimètres – voire plus -, d’un pays à l’autre, car l’architecture des quais et des ponts ont historiquement été élaborés séparément dans chaque pays. A noter qu’il y a un gabarit aussi propre au pantographe suivant le type de caténaire.

Est-ce handicapant ? Cela dépend. Les voitures estampillées UIC sont réputées pouvoir voyager dans tous les gabarits européens sans cogner quoique ce soit. L’UIC, justement, avait codifié quatre gabarits en vigueur au niveau international :

  • le gabarit GA qui sert de base du réseau ferré français (en rouge);
  • le gabarit GB dont bénéficient certaines lignes (en orange);
  • le gabarit GC pour les nouvelles lignes grande vitesse en Europe (en bleu);
  • le gabarit GB1 permettant le transport de conteneurs de grandes dimensions (non représenté).

 

Ces valeurs sont toujours actuelles et fondent notamment les analyses et décisions sur les travaux à effectuer sur les fameux corridors RTE-T de l’Union européenne.

L’UIC dans la troisième ère du rail

L’organisation a dû se repenser son action dans un monde ferroviaire qui est entré dans sa troisième ère. Aujourd’hui, l’environnement ferroviaire est principalement contractuel à tous les étages du secteur et les États ont repris la main sur le secteur. Cela a conduit à une forte inflation des exigences légales et à un encadrement plus strict des dépenses publiques. Et donc une recherche permanente pour faire du train moins cher. Le train est et reste toujours confronté à de redoutables transports concurrents qui ne vont pas rester les bras croisés.

Le monde nouveau c’est aussi l’internationalisation importante des fournisseurs qui vendent des trains standardisés dans toute l’Europe. Aujourd’hui, l’industrie a pris le lead sur les bureaux d’études nationaux et sur les idées, à quelques exceptions près. Il suffit de visiter un salon comme InnoTrans, créé en 1996, pour se rendre compte de la mutation opérée au XXIème siècle. Consolation : l’industrie se fonde largement sur les normes de l’UIC pour pouvoir vendre son matériel roulant dans toute l’Europe.

Les spécifications techniques harmonisées au travers des fiches UIC n’ont jamais empêcher le progrès technique, comme le croyaient les ingénieurs français il y a 100 ans. Prenons l’exemple des trains à hydrogène ou à batterie, dont personne ne parlait il y a encore dix ans. Il s’agit d’une invention de l’industrie privée, les chemins de fer n’étant à l’origine pas demandeurs. Et que seraient les chemins de fer sans la digitalisation, dont les principes de base ont été créés sur un autre continent. Quant aux normes radio GSM-R, élément essentiel de la sécurité du trafic, elles sont fixées au niveau mondial. Alors bien-sûr, certains regrettent la fin des champions nationaux et l’égo souverainiste d’antan qui animait tout une corporation d’ingénieurs, mais c’est un autre sujet…

L’UIC et l’Europe : qui fait quoi ?

L’association est mondiale et compte actuellement 200 membres de 100 pays répartis sur les 5 continents. Sa mission est de promouvoir le transport ferroviaire à l’échelle mondiale et d’encourager et organiser la coopération internationale entre ses membres. L’UIC a un rôle de promotion du chemin de fer auprès des gouvernements et des organisations internationales. À ce titre, l’UIC représente le secteur du transport ferroviaire auprès de l’Organisation des Nations unies (ONU) avec un statut consultatif, ainsi qu’auprès de nombreuses organisations internationales, comme par exemple le Forum international des transports (FIT – ex CEMT).

Ces dernières années, l’organisation a redéfini ses objectifs et a mis l’accent sur des questions telles que la libéralisation et la mondialisation du secteur ferroviaire mondial, ou les nouveaux défis posés aux chemins de fer par leur rôle clé dans un scénario de développement durable et de lutte contre le changement climatique.

En Europe, l’interopérabilité et la convergence des principes d’exploitation pour un chemin de fer interopérable offrent un paysage riche en termes de normalisation et l’UIC a une contribution importante à apporter au succès de la création de l’espace ferroviaire européen unique (appelé SERA).

En tant qu’organisme de normalisation, l’UIC continue donc de fournir des solutions normalisées à la communauté des exploitants ferroviaires et a entrepris de faire évoluer la famille de documents en développant des Solutions ferroviaires internationales (IRS en anglais). Cet ensemble se concentrera sur tous les sujets essentiels au rôle des exploitants ferroviaires pour une exploitation sûre du système ferroviaire.

Les spécifications techniques d’interopérabilité (STI) préparées par l’Agence de l’Union européenne pour les chemins de fer définissent les objectifs à atteindre en termes d’établissement du SERA. Des normes sont ensuite élaborées par un certain nombre d’organismes reconnus pour décrire comment ces objectifs peuvent être atteints. La normalisation de la conception et de la construction des produits est principalement assurée par le CEN, le CENELEC et l’ETSI, en complément des divers organismes internationaux de normalisation (ISO, IEC, ITU, etc.).

Bon anniversaire et plein de succès pour la suite.

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