Adina Valean Interview in Contexte Transports 22/02/23

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Source: https://www.contexte.com/article/transports/adina-valean-sur-les-vols-courts-je-ne-veux-rien-interdire-je-veux-offrir-de-meilleures-alternatives_164193.html

 

 

 

Adina Valean : « Sur les vols courts,

je ne veux rien interdire, je veux offrir

de meilleures alternatives »

Dans un grand entretien à Contexte, la commissaire européenne aux Transports

évoque les dossiers chauds de l’aérien et défend la concurrence ferroviaire,

l’ouverture plus grande des données de transport et plus de financements

pour les infrastructures.

22 février 2023 à 7 h 00 — Fanny Roux, Isabelle Smets

Adina Valean
Adina Valean — All rights reserved

Contexte : parmi les textes à venir dans les prochains mois, quels seront les dossiers les plus sensibles ?

Adina Valean : le plus important sera le texte sur les services numériques multimodaux. C’est délicat, car la multimodalité inclut le ferroviaire. Or le rail n’est pas si ouvert et numérisé que cela. Nous n’avons pas assez de données accessibles pour vendre des trajets multimodaux. Cela implique de développer les entreprises de vente de billets, mais aussi qu’il y ait assez d’informations et de choix pour les passagers. C’est pour cela que l’on travaille aussi à une méthodologie pour évaluer les émissions. [Le voyageur] pourra faire son choix en fonction des divers modes, de la rapidité, du prix ou encore de la durabilité du trajet.

L’ouverture des données reste l’un des aspects extrêmement importants pour que le rail joue son rôle dans l’écosystème. On ne peut pas avoir plus de fret sur les rails si les entreprises n’ont pas les informations nécessaires. Je vais me focaliser là-dessus cette année. Je vais aussi tenter de me concentrer sur le transport combiné.

Ce texte sur les services numériques multimodaux va-t-il renforcer les obligations en matière d’ouverture des données ?

Je ne peux pas vous dire maintenant à quoi va ressembler le texte, car nous sommes encore en train d’en débattre. Mais je pense que ces obligations seraient pertinentes, car nous devons nous assurer que ce secteur [la billetterie, Ndlr] puisse être rentable. Si ce n’est pas le cas, que les conditions ne sont pas équitables, alors les entreprises vont être réticentes à s’engager dans ce secteur. Nous avons besoin de plus de données dynamiques.

Sur le ferroviaire, quel est le calendrier d’adoption des lignes directrices sur les obligations de service public (OSP) ? Votre projet de texte avait provoqué l’ire des acteurs du transport public fin 2021, début 2022. Où en est-on ?

Je ne peux pas vous donner de calendrier à ce stade. Mais ce dossier est important pour ceux qui utilisent de manière extrême les règles en matière d’OSP et veulent protéger leur marché, et pour ceux qui veulent accéder à ce marché en proposant des nouveaux services.

Notre position, et la mienne, en tant que commissaire, c’est que nous voulons favoriser la concurrence autant que possible.

Là où il y a un potentiel commercial pour un service, on ne devrait pas abuser de la possibilité d’établir des OSP. C’est pourquoi il faut faire une analyse de marché. Mais je suis face à des cas de pays qui disent ne pas en faire. C’est étrange. Pourquoi ne pas faire d’analyse pour établir si un secteur est concurrentiel ou pas ? Le problème dans le ferroviaire, c’est qu’il y a toujours beaucoup d’entreprises d’État et, bien sûr, il y a un réflexe de protection de ce qui est de l’intérêt de l’État dans beaucoup de pays. Cela n’aide pas le marché européen.

Les nombreux textes parachevant le Pacte vert dans les transports, attendus à la fin du premier semestre, étaient inscrits dans la stratégie pour la mobilité durable et intelligente de décembre 2019. Pourquoi arrivent-ils si tard ?

Nous avons été occupés par la pandémie et par la guerre en Ukraine. Et la relance de l’industrie des transports à la sortie de cette pandémie est toujours en cours.

Il y a beaucoup de travail. Tous les impacts de nos textes doivent être évalués et c’est d’autant plus complexe que de nombreuses politiques publiques sont interconnectées. Nous devons prioriser. Peut-être que nous ne réussirons pas à tout faire. Mais nous sommes prêts à travailler jusqu’au dernier jour du mandat, comme l’a dit la présidente von der Leyen.

La Commission est en train de préparer sa révision à mi-mandat du budget pluriannuel, attendue en 2023. Vous avez dit devant les députés que vous tenteriez d’obtenir plus de fonds pour les infrastructures de transport. Vous a-t-on assuré que ce sera le cas ?

Je crois que l’on est d’accord à la Commission sur le fait que les entreprises et le secteur des transports ont besoin de plus d’investissements dans les infrastructures. Via le principal instrument, le Mécanisme pour l’interconnexion en Europe [MIE], on a toujours proposé plus d’argent que ce que les États membres ont ensuite accordé. Et maintenant, ces mêmes États demandent plus de financements que disponibles dans nos appels à projets.

Nous verrons si les législateurs sont d’accord ou pas pour augmenter le budget du MIE, en particulier la partie allouée à la mobilité militaire. À cause de la guerre en Ukraine, nous recevons énormément de demandes de financement pour des projets d’infrastructures à double usage, qui vont au-delà de nos capacités. Cela montre que l’enveloppe d’un milliard d’euros finalement fixée par le Conseil européen pour la mobilité militaire (au lieu des six milliards proposés par la Commission) n’est pas suffisante.

Votre paquet législatif du 21 juin comprend la révision de la directive sur le poids et les dimensions des véhicules. Allez-vous autoriser les « giga trucks » à rouler sur les routes européennes ?

Lorsque je suis allée à Montréal, j’ai vu de près à quoi ressemblaient ces camions et les trains avec les containers. C’est une autre dimension que ce que l’on voit en Europe. C’est un peu choquant, mais c’est très efficace.

Sur le champ de ce texte : d’abord, avec l’électrification, tous les véhicules seront plus lourds à cause du poids des batteries. Nous allons donc devoir adapter les poids autorisés.

Ensuite, concernant les véhicules plus longs, aujourd’hui, les États peuvent les autoriser s’ils le souhaitent sur leur territoire. Mais si deux États frontaliers les acceptent, cela ne veut pas dire que le transport transfrontalier de ces camions est permis entre ces deux pays. Alors qu’il devrait l’être dans ce cas. Bien sûr, on ne veut pas imposer à tous les États membres d’autoriser ces véhicules longs, car pour des raisons géographiques, cela n’est pas pertinent pour tous.

La réforme du règlement sur les services aériens a été reportée et semble avoir disparu de l’agenda de la Commission. Que se passe-t-il ?

Je ne peux pas dire si nous serons en mesure de proposer ces réformes d’ici la fin de l’année. Nous évaluons, nous discutons – également de la réforme des créneaux aériens. Nous proposerons quelque chose quand nous aurons une vue d’ensemble.

Le fait est que l’aviation est un écosystème avec un équilibre très fin entre tous les acteurs – les aéroports, les prestataires de services, les compagnies aériennes, les gestionnaires de trafic. Vous ne pouvez donc pas vous contenter d’en réformer une partie sans tenir compte des effets sur les autres. S’il y a une réforme du règlement sur les services aériens, elle doit venir dans un paquet plus global. Personne ne pouvait prévoir la pandémie [de Covid] et ses effets. Et, aujourd’hui, nous sommes toujours en train d’essayer de comprendre les grands défis du secteur, avant de proposer du changement.

Il y a un aspect qui s’impose de lui-même : c’est le social. Il relève du règlement sur les services aériens, et je crois que, là, nous pouvons apporter une plus-value. C’est une promesse que nous avons faite. Je parle, par exemple, de clarifier la notion de « base d’exploitation ». Il ne s’agit pas forcément de grands changements, mais de modifications, qui peuvent faire la différence.

Est-il possible par exemple que vous interdisiez certaines formes de travail « atypiques » ?

Cela, on ne peut pas le faire de Bruxelles. Il y a une certaine « optimisation » des contrats de travail. C’est un peu déplaisant, mais on a constaté que ces contrats étaient légaux selon la loi du pays où ils étaient conclus. C’est pourquoi clarifier la base d’exploitation [et donc le droit du travail qui s’applique aux personnels navigants, Ndlr] devrait nous permettre de garantir que des normes liées aux contrats de travail soient appliquées.

Allez-vous toucher aux possibilités de restriction des services aériens ? En d’autres mots, ce paquet pourrait-il proposer une base légale à l’interdiction des vols courts ?

Je suis contre les interdictions. L’aviation constitue une partie importante de notre secteur et la majorité des gens, qui profitent de la connectivité, sont d’accord avec ça. Pourquoi bannir ? Les vols de moins de 500 km représentent environ 30 % des opérations au sein de l’Europe, mais 4 % des émissions. Quel est le but alors ? Si l’on continue d’améliorer les connexions ferroviaires, les gens ne prendront naturellement plus l’avion. Je prends toujours l’exemple de la ligne Madrid-Barcelone. Plus personne ne prend l’avion entre Madrid et Barcelone aujourd’hui. Ni entre Paris et Bruxelles.

Mais entre Bruxelles et Amsterdam, si, même s’il y a une ligne de train…

C’est aussi parce que Schiphol est un hub international. Si vous partez de Bruxelles vers l’Inde en passant par Schiphol, vous devez voyager avec vos bagages dans le train, aller à l’aéroport, faire l’embarquement… C’est pour cela aussi que nous travaillons sur la multimodalité. Avoir un billet qui inclut la partie train et la partie avion, cela offre de la prédictibilité sur l’ensemble du voyage et encourage le recours aux combinaisons de moyens de transport. Ce serait une réponse à la question des vols courts. Je ne veux rien interdire, je veux offrir de meilleures alternatives.

Sans interdire au niveau européen, le règlement sur les services aériens pourrait offrir aux États une base légale pour proscrire eux-mêmes ces vols courts s’ils le souhaitent, par exemple sur base de critères environnementaux ?

Je ne pense pas qu’il faille agir ici. N’oublions pas que nos entreprises font partie d’un marché international, sur lequel elles doivent rester compétitives. Alors pourquoi devrais-je imposer quoi que ce soit ? Un État membre a-t-il besoin d’une base juridique européenne pour faire quoi que ce soit ? La France s’est dotée de dispositions en jouant sur les critères environnementaux du règlement sur les services aériens. On a donné notre feu vert, mais à condition que la mesure soit limitée dans le temps. Et qu’elle soit équilibrée et juste pour les autres acteurs du marché.

La Commission et les compagnies parlent aussi depuis longtemps d’un assouplissement des règles de propriété et de contrôle des compagnies aériennes. Allez-vous les réviser ?

Je ressens bien le besoin qu’ont les entreprises d’accéder au marché des capitaux. Il est vrai que l’Europe n’offre pas le même potentiel que le Royaume-Uni ou les États-Unis. Mais c’est une question très sensible. D’un côté, vous devez avoir accès à plus de capitaux, de l’autre, vous devez garder le contrôle. Aujourd’hui, des gens se plaignent : pourquoi tel ou tel port est acheté par les Chinois ? Nous ne voulons donc pas aboutir à un déséquilibre sur la question de la propriété. Mais je ne dis pas que je suis contre. D’un côté, je comprends le besoin, de l’autre, nous devons être très prudents.

L’intégration de l’aviation dans la taxonomie européenne fait l’objet d’intenses discussions. Sera-t-il possible de labelliser comme « verts » des investissements dans ce secteur ?

Nous y travaillons. Ce n’est pas mon dossier, mais celui de ma collègue McGuinness [Mairead McGuinness, commissaire aux Services financiers, Ndlr]. Bien sûr, nous avons notre mot à dire. Malheureusement, la DG Clima aussi (rires) ! Je plaisante bien sûr, mais c’est un sujet très sensible.

Il est extrêmement important de remplacer les vieux avions par des nouveaux, moins polluants et capables d’embarquer des carburants alternatifs durables. Il y a donc un besoin. Les compagnies doivent donc avoir accès à du capital pour acheter des appareils plus récents. Nous pouvons mettre une condition, comme dire qu’il doit s’agir d’investir dans le remplacement ou le déclassement d’un ancien appareil. Mais je n’irai pas plus loin, en exigeant des conditions supplémentaires, car je pense qu’elles doivent avoir accès au financement.

 

Fanny Roux - Isabelle Smets

 

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