Le ferroutage a du plomb dans l’aile. Dans quelques mois, les camions ne prendront plus le train pour traverser les Alpes suisses 20/05/25

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L’entreprise RAlpin, qui assure le ferroutage entre l’Allemagne et l’Italie, met la clé sous la porte à la fin de l’année. En cause notamment: des chantiers incessants et parfois inopinés entraînant de nombreuses annulations de trains.

Le camion de plus de 40 tonnes s’avance prudemment sur la rampe de chargement afin d’accéder au wagon de ferroutage. C’est ici, dans la banlieue de Fribourg-en-Brisgau, dans le sud de l’Allemagne, que chaque jour de sept à huit trains de l’entreprise RAlpin transportent ces imposants véhicules à travers les Alpes suisses jusqu’à Novare, en Italie. Un service créé en 2001 et qui sera définitivement arrêté à la fin de l’année, notamment en raison de chantiers incessants et parfois inopinés, en particulier en Allemagne, qui entraînent de nombreuses annulations.

«On voit tout de suite les conducteurs qui ont l’habitude et ceux pour qui c’est la première fois», rigole le directeur managérial Lars Asmus. Car une fois sur le wagon, le chauffeur doit avancer son camion sur plusieurs dizaines à centaines de mètres, selon sa position dans le convoi ferroviaire. Dans le vacarme, chaque conducteur est donc très attentif et, penché par la fenêtre, vérifie que les roues soient bien alignées par rapport au bord du wagon. «S’il braque par erreur son volant, il pourrait casser l’essieu du camion», explique le responsable. Dans ce cas, il faut séparer le wagon concerné du reste du train et faire venir une dépanneuse pour déloger le véhicule bloqué. «Cela se produit environ une fois par mois.»

«Je gagne du temps»

Tandis que les derniers camions – provenant de toute l’Europe – continuent de se positionner sur le train, à l’avant du convoi les premiers chauffeurs s’installent dans la voiture couchettes, juste derrière la locomotive. Dans le petit coin cuisine, certains sont en train de siroter une bière et de manger une collation. Juste à côté, dans les différents compartiments, d’autres déroulent déjà leur sac de couchage sur la banquette qui leur est attribuée. Il n’est pourtant que le milieu de l’après-midi. Le départ est prévu à 16 h 30, l’arrivée en Italie vers 2 h du matin.

«On voit les conducteurs qui ont l’habitude et ceux pour qui c’est la première fois »

Lars Asmus ·Directeur managérial de RAlpin

«Je pourrai me reposer ce soir et une partie de la nuit avant de reprendre le volant pour Rome où j’arriverai en début d’après-midi», témoigne John Klarenbeek, un chauffeur néerlandais dans le métier depuis 32 ans. C’est un habitué. «Je fais le trajet chaque semaine. C’est très pratique, cela me fait 11 heures de pause et je gagne du temps. C’est vraiment dommage qu’ils arrêtent ce service à la fin de l’année.»

En face de lui, l’un de ses compatriotes abonde. «Il sera compliqué de trouver des solutions. Car les camions chargés ici sont trop lourds pour traverser la Suisse par la route. Il faudra donc trouver des itinéraires alternatifs.»

Berne interdit en effet les camions de plus de 40 tonnes sur le réseau routier helvétique. Les véhicules qui emploient cette véritable «autoroute roulante» ferroviaire ont en revanche le droit de peser jusqu’à 44 tonnes, ce qui permet des économies intéressantes pour les transporteurs. Et puis mettre les camions sur le train, c’est éviter l’interdiction de circuler la nuit en vigueur en Suisse tous les jours (seulement les week-ends en Italie et en Allemagne).

Tout le monde n’est cependant pas satisfait du service. Un chauffeur roumain estime que la voiture couchettes manque de confort. «Nous ne sommes pas traités comme des humains, nous n’avons aucune intimité», se plaint-il.

« C’est dommage qu’ils arrêtent ce service à la fin de l’année »

John Klarenbeek ·Un conducteur de camion néerlandais

Lars Asmus a son explication. «Certains conducteurs de camion sont habitués à leur cabine tout confort, dans laquelle ils sont seuls une grande partie du temps. Se retrouver dans une voiture des années 1970 peut alors leur sembler inconfortable. Pourtant, boissons, repas, toilettes et douche sont à disposition.» Le coût du trajet: de 650 à 750 euros, tout dépend du train choisi. Ceux du soir – cinq ce jour-là – sont davantage demandés, car ils permettent aux chauffeurs de dormir toute la nuit.

Dix heures de trajet

Le chargement du train – une fois les démarches administratives et la pesée des camions réalisées – prend de 30 à 45 minutes. Environ 15% des véhicules transportent des substances dangereuses, 15% des denrées alimentaires et le reste des biens très variés.

Ce jour-là, 18 camions – sur 25 places disponibles – sont stationnés sur le train. Un véhicule est positionné tout à l’arrière, seul, pour des raisons de sécurité en cas de freinage. Le train s’ébranle avec une quarantaine de minutes d’avance. Une dizaine d’heures plus tard, il sera à Novare, à 414 kilomètres de Fribourg-en-Brisgau, après avoir franchi le Lötschberg et le Simplon, l’itinéraire de presque tous les convois de ferroutage de RAlpin (certains passent par le Gothard).

En 2024, 72 189 véhicules ont été embarqués pour 1,22 million de tonnes transportées. En 2023, ces chiffres étaient respectivement de 80 183 et de 1,52 million et en 2022 de 71 904 et de 1,18 million. Cela correspond en moyenne à 7% de l’ensemble du transit ferroviaire transalpin en Suisse, soit environ 4,5% de tous les biens transportés sur l’axe nord-sud, par train ou camion. Selon le dernier rapport de l’Office fédéral des transports, en 2024, la part du rail était de 70,3% contre 29,7% pour la route.

Des difficultés financières

Les nombreux chantiers, notamment en Allemagne, ont eu raison de la rentabilité de l’entreprise de ferroutage RAlpin.

Destination: voie de garage. Fin 2025, les trains ne transporteront plus de camions à travers les Alpes suisses, entre Fribourg-en-Brisgau (Allemagne) et Novare (Italie). L’entreprise RAlpin, en main de Hupac SA, de BLS et des CFF et en charge du ferroutage, jette l’éponge, a-t-elle annoncé le 5 mai. La raison: une activité qui n’est plus rentable, bien que la demande soit «toujours bonne», selon le directeur Ludwig Näf.

Les difficultés de la compagnie sont principalement dues à l’annulation forcée de convois. En 2024, 10% des trains ont dû être supprimés. Des chantiers planifiés ou ordonnés à court terme sont notamment en cause. Si en Suisse ou en Italie des itinéraires alternatifs sont possibles, ce n’est en général pas le cas en Allemagne, où le réseau ferroviaire est particulièrement vétuste, nécessitant parfois des travaux urgents. Résultat: RAlpin a essuyé des pertes de 2,2 millions de francs l’année dernière pour un chiffre d’affaires annuel d’environ 60 millions de francs, subventions fédérales comprises. Et la situation ne s’est pas améliorée en 2025. Seuls 794 trains ont pu circuler durant le premier trimestre, contre 1018 durant la même période en 2024, soit une baisse de 20%.

« Nous allons lancer une campagne publique afin d’éviter que ces camions ne retournent sur la route »

·Directeur de RAlpinLudwig Näf

Cette «autoroute roulante» aurait dû être en service jusqu’à fin 2028, selon la décision du parlement de poursuivre le financement fédéral jusqu’à ce que plusieurs terminaux soient achevés du côté italien, permettant le transport de davantage de containers par train. Mais face à l’absence de perspectives d’amélioration à court terme, RAlpin a préféré anticiper la fin de ses activités, commencées en 2001. «Tant l’Office fédéral des transports que le Département de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication estiment que maintenir le service nécessiterait davantage de subventions qu’actuellement», explique Ludwig Näf.

«Avec la fin des activités de notre entreprise, de nombreux sillons (créneaux horaires pour les trains, ndlr) seront libérés, permettant de faire circuler davantage de trains marchandises», philosophe Ludwig Näf. «Nous allons lancer une campagne publique afin d’éviter que ces camions ne retournent sur la route et que les biens qu’ils transportent continuent à être chargés sur le train.» A noter qu’en Autriche, un service de ferroutage continue à être proposé sur l’axe du Brenner et vers Maribor, en Slovénie.

RAlpin emploie 16 personnes, tandis qu’une centaine d’autres le sont par des prestataires de services. «Nous cherchons des solutions au cas par cas pour leur avenir professionnel», indique Ludwig Näf.

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